A l’occasion de la journée mondiale des sols, place à la parole d’un expert : Marc-André Selosse.
Quand on parle de sol, de quoi parle-t-on exactement ?
On parle de ce qu’il y a sous nos pieds, dont on ne voit que la surface. Le sol est fait d’éléments trop petits pour les voir à l’œil nu, et on le trouve sale culturellement. Sans doute car on enterre nos déchets et qu’on met nos morts là-dedans. Or le sol est le placenta de l’humanité, c’est de là que vient toute notre nourriture, des végétaux aux animaux qui les ont mangés. Et aussi une chose plus méconnue : le sol apporte toute la fertilité des eaux arrivant dans les mares, rivières, lacs et sur le littoral. Cette eau draine une partie de la fertilité qui est produite par la vie des sols. Au milieu de l’océan il n’y a presque rien à pêcher ni à manger, tout se passe le long du littoral là où arrivent les eaux des fleuves. Le sol est notre nourriture, même dans l’eau !
La fraction vivante qui vit dans le sol est absolument vitale. Elle ne représente que moins de 1% de sa masse, mais c’est elle qui est aux commandes. C’est elle qui attaque les roches et libère les éléments minéraux que les plantes vont pouvoir utiliser. C’est elle qui décompose la matière organique, libérant là encore des nutriments pour les plantes. C’est elle enfin qui utilise de l’azote gazeux pour faire de l’azote utilisable par la vie du sol. Certains champignons du sol aident les racines à collecter ces richesses !
Dans un hectare de chez nous, vous avez 5 tonnes de microbes, 5 tonnes de racines de plantes et 1,5 tonne d’animaux. Ce qui correspond à 150 et 250 moutons selon leur taille ! Le sol a une biodiversité majeure.
D’après votre compréhension du sol, vers où se dirige t’on ?
On va plutôt vers des catastrophes, l’extension de nos villes fait disparaître l’équivalent d’un département français tous les 7 à 10 ans avec l’artificialisation des sols. Une loi programmant « zéro artificialisation nette » vient d’être votée : on ne pourra plus faire disparaître de sol en 2050. Mais déjà les maires de France s’en inquiètent alors que cet objectif est vital pour notre indépendance alimentaire. Il suffit de continuer comme cela si on veut retirer la nourriture de la bouche de nos enfants.
Aujourd’hui, dans la crise géopolitique actuelle, le fait qu’on ne soit pas autonome alimentairement donne ses premiers effets avec la hausse des prix. Culturellement nous ne sommes pas du tout prêts à accepter cela. C’est fini les pavillons, c’est fini les extensions des zones industrielles. Il faut repeupler les centres villes, densifier l’habitat pour des raisons énergétiques. Il n’y a pas le choix.
Par ailleurs, certaines pratiques agricoles ne sont pas adaptées. Elles sont productives à court terme, mais à long terme elles abîment le sol et risque d’affamer les générations suivantes. Un exemple est le labour qui augmente d’un facteur 10 l’érosion des sols. Le sol labouré fond sous nos yeux. Les sols de la Beauce s’érodent aussi vite que les sols alpins, qui eux ont la pente pour expliquer cela. Cela fait disparaître les sols physiquement. D’ autre pratiques abîment le sol : les pesticides et engrais font disparaître la vie qui s’y trouve et donc ce qui reconstitue à chaque instant sa fertilité.
Nos gestes agricoles, utiles à court terme, ont eu une vertu : la fin des famines. Mais il faut maintenant faire un inventaire raisonné et aller vers les formes d’agriculture alternatives. Elles existent déjà : agro-écologie, agro-foresterie, agriculture non labourée, agriculture de conservation des sols. Elles sont productives ! Certains ne veulent pas les accepter ou disent qu’elles vont affamer l’humanité alors même que l’agriculture actuelle crée les famines de demain.
Extrait de l’interview de Marc-André Selosse du 21 juillet 2022 | Publié par LIEUX MOUVANTS

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